Stéphanie CHERPIN
Foreign Parts

du 12 mars au 11 avril 2015

L’exposition Foreign Parts de Stéphanie Cherpin a été présentée du 12 mars au 11 avril 2015 lors de la Biennale internationale design de Saint-Étienne. Les œuvres ont été produites lors d’une résidence à Saint-Étienne et exposées pour la première fois à l’Assaut de la menuiserie.

L’artiste s’intéresse à la fragilité de l’existence et exprime son désaccord envers les effets délétères des nouvelles technologies sur nos expériences sensorielles et notre perception du temps et de l’espace, qui nous éloignent du monde naturel hostile. Ses sculptures et installations sont marquées par des pulsions créatives et utilisent des matériaux bruts à l’aspect précaire, tels que des assemblages rapiécés ou des fragments recyclés recouverts de goudron brut. Elles évoquent la vulnérabilité de l’humanité et démontrent notre capacité à créer grâce à notre instinct de survie. À l’image de l’abri de vagabond construit à la hâte, elles nous incitent à la réflexion sur l’écoulement du temps et rappellent des fétiches aborigènes ou des vestiges d’un voyage pionnier, suggérant un retour aux origines et à l’unité d’un monde sacré.


Le monde ne nous est plus étranger. Depuis bien longtemps, les dernières terrae incognitae n’ont pas échappé aux mailles de nos satellites.

Ici, pourtant, nous marchons parmi des lambeaux de toiles de tente, des fragments de fortune rapiécés : l’homme, ici, semble avoir essayé quelque chose avec l’énergie des premiers hommes.

Ce dont témoignent les sculptures de Stéphanie Cherpin, c’est que la fragilité de l’homme reste donc encore et toujours à explorer. C’est William Faulkner qui semble s’être approprié ces mots fameux qui ont introduit notre siècle : « Bienvenue dans le désert du réel* ».

Mais nous savons que les restes du monde humain sont à recréer. Ils ne suscitent pas un sentiment de désolation catastrophée – comme dans Matrix – mais un désir d’imagination.

Cet imaginaire du réel ne répond pas à son pendant dialectique qu’est le virtuel. Il ne s’agit pas d’un travail critique démystificateur. Plus humblement, il s’agit d’Art. Et de répondre, par les moyens poétiques et artisanaux, à notre soif de Nouveau Monde. Tels des pionniers américains, nous persistons malgré la terre hostile. Nous survivons : ce qui est à la fois maintenir un quotidien précaire dans l’urgence du présent ; mais c’est aussi subsister, rester et perdurer dans le temps.

Nous sommes fragiles et nous sommes absolus, cabane et cathédrale, artisanat et art.

Un imaginaire développe ses figures singulières. En premier lieu, ces sculptures mobilisent l’énergie laborieuse du bricoleur – figure moderne et persistante du génie populaire : humble, anonyme, ingénieux, pragmatique, il est le maître non institutionnel de la pièce détachée et de son assemblage. En second lieu, nous avons affaire à la figure nomade et aristocratique du chasseur : instinctif, confronté à la mort, tragique, il est le maître reconnu et sacré de la subsistance.

Ces deux figures se complètent :  sosser,  membrer,  chirer, ra piécer, re coller, re coudre. Tel est le modus operandi – expression consacrée, rappelons-le, à l’assassin méticuleux dans sa besogne.

La nécessaire et rudimentaire technicité – matériel de camping, outillage, tapis de sol, goudron – de la volonté de survivre ne peut se départir du sacré. L’art du fragment est l’expression d’un désir d’unité, le rêve de l’unité perdue entre le profane et le sacré, le rêve d’un monde où construire une pirogue, cueillir des baies, pêcher, ériger une voile – tout est sacré.

Cette poétique du réel – de la rudesse du réel – ne nous mène donc pas vers les chemins douteux de l’authenticité. Nous arpentons au contraire les rivages arides et grandioses de l’imaginaire, sur lesquels nous entonnons un chant cosmique en taillant un bâton et nous nous mettons à plat ventre devant un radeau de fortune.

Savons-nous avec certitude si nous considérons des fétiches aborigènes ou des épaves de pionniers à la dérive ? Ce doute semble procéder d’un « effet de vestige », comme on parle d’effet de réel, ou de vestige recréé. Nous avançons alors plus précisément vers la question qui nous est posée par l’œuvre de Stéphanie Cherpin et qui repose sur la richesse sémantique du mot. Le sens originel du vestige est l’empreinte que laisse sur le sol le pied de l’homme ou de l’animal – où nous retrouvons la figure du chasseur. Les vestiges sont aussi, par extension, les restes plus ou moins reconnaissables de monuments, d’une activité humaine. Enfin, le vestige possède aussi le sens théologique de sceau, empreinte de Dieu dans chacune de ses créatures – la part sacrée de ce qui reste.

Par cet « effet de vestige », nous sentons ce paradoxe évident : arpenter un Nouveau Monde est toujours et déjà archaïque. Le vestige ne comble pas notre désir vain d’authenticité ; il est au contraire l’artifice poétique par lequel nous accédons véritablement au Nouveau Monde.

* Phrase prononcée par le personnage de Morpheus dans le film Matrix, des frères Wachowski, 1999

Exposition OFF de la Biennale internationale design Saint-Étienne
Dans le cadre du vernissage les étudiants de 2e année Art de l’Esadse ont exposé des travaux produits avec Émilie Perotto, professeur de volume/espace. Au cours de cette exposition une rencontre de l'artiste a eu lieu avec les étudiants de 1re année de l’Esadse le 10 avril 2015. Une visite de l'exposition avec ADELE, réseau art contemporain de Lyon et sa métropole, a eu lieu le 11 avril 2015.