François MANGEOL
Sciemment, patiemment

du 5 mars au 2 avril 2016

Du 5 mars au 2 avril 2016, l’Assaut de la menuiserie a accueilli l’exposition Sciemment, patiemment de l’artiste François Mangeol. En résidence de production, l’artiste a créé un ensemble de nouvelles sculptures inspirées du colombage. Pour la première fois, les visiteurs ont pu découvrir les œuvres spécialement créées pour l’exposition : « Lune » (200 x 200 x 90 cm, bois teinté en rouge), les œuvres murales L’Origine de l’univers (350 x 200 cm, bois teinté en noir) et We have the fucking power (130 x 130 cm, bois teinté noir), ainsi que Isthme (100 x 100 cm, acrylique sur PMMA).

Les œuvres de François Mangeol jouent avec les limites du langage et de l’abstraction. Explorant les différentes facettes du trait, devenu signe puis langage, l’artiste invite à revisiter les origines des signes, des alphabets et des hiéroglyphes qui ont marqué l’histoire de l’humanité. À la façon des mondes parallèles, ses sculptures offrent de multiples interprétations toutes aussi valides les unes que les autres. Les œuvres penchent tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, laissant les spectateurs libres de leurs propres interprétations ou de trouver dans le titre une solution évidente. À la découverte du tracé des lignes, de l’assemblage des formes et des figures, les visiteurs retrouvent l’émerveillement de l’enfance.


"Déjà à Combray je fixais avec attention devant mon esprit quelque image qui m'avait forcé à la regarder, un nuage, un triangle, un clocher, une fleur, un caillou, en sentant qu'il y avait peut-être sous ces signes quelque chose de tout autre que je devais tâcher de découvrir, une pensée qu'ils traduisaient à la façon de ces caractères hiéroglyphes qu'on croirait représenter seulement des objets matériels. Sans doute, ce déchiffrage était difficile, mais seul il donnait quelque vérité à lire." — Marcel Proust, Le Temps retrouvé

Que faire ? À une question si chargée des urgences et des pesanteurs du monde, la réponse exige les détours et les médiations du jeu.

Cette question nous ramène à ce moment où tout problème n’est pas désarroi mais émerveillement ; à cette nuit des temps de chacun où faire c’est comprendre – ce que dit bien le sens double du mot « saisir ». Ces premières joies sont celles des premiers décryptages, déchiffrages des signes, alphabets et autre hiéroglyphes. Premiers émerveillements de l’enfant qui renvoie à la nuit des temps de l’humanité, l’antiquité, celle des premières écritures, des premiers signes.

Que faire ? Décrypter sans cesse, tracer des lignes, assembler des formes, ériger des figures – à l’infini. Tel est l’émerveillement de l’enfance et la traversée du miroir auxquels nous invite le travail de François Mangeol.

Sciemment, patiemment : d’emblée l’exposition se présente sous le signe du jeu poétique avec le langage, de la trouvaille fulgurante. A travers les pièces, ce bonheur de la langue adhère à la forme et à la matérialité, le langage devient objet et l’objet langage : redoublement du décryptage, désir décuplé de déchiffrer. Où se loge la lettre ? Ou se cache l’alphabet ? Quelle écriture ? Quels signes ? La connaissance est soif de connaissance.

Dans la pureté et l’ascèse des figures s’inscrivent les possibilités infinies de lectures. Nous sommes invités à la patience alerte de l’archéologue qui sait la distance vertigineuse qui relie quelques hiéroglyphes à la durée qu’ils contiennent.

Cet exercice de décodage ne comprend aucun secret ; c’est l’affaire de l’attention de chacun, de l’exploration dans les plis et les dépliages des signes. Nous sommes libres de nous promener à la surface ou de nous aventurer dans les profondeurs scripturales.

Entre l’espiègle et l’austère, les figures de bois ménagent l’échange réciproque entre le fini et l’infini, entre la limite rigoureuse des figures et leur décryptage qui ne prend jamais fin, entre un présent concentré et une durée étale.

À la lecture des alphabets de François Mangeol, nous sommes à notre tâche : nous répondons spontanément – sans le savoir – à l’urgence du che farò ?, enveloppés dans ce que Proust appelle « un peu de temps à l’état pur ».

Ainsi ces répétitions et variation des géométries nous rappellent à notre joie de comprendre sans cesse – comprendre : saisir et saisir encore.

Découvrir l’article paru dans le n°56 de Kiblind.
francoismangeol.com