Alissone PERDRIX
Observations Carolo-Stéphanoises

février 2013

L’exposition n’aura duré qu’une nuit

Lundi soir, 21h, toute une troupe était réunie autour d’un repas pour se rencontrer, échanger autour d’un travail à venir. La mission consistait à sillonner le quartier Jacquard par petit groupe pour y installer les affiches sérigraphiées. Démultiplier les forces pour couvrir un territoire : Jacquard baise tout. 3 équipes se sont formées, avec des périmètres d’intervention précis, un seau de colle, des pinceaux, un rouleau d’affiches. Tellement de bonne humeur, d’enthousiasme, un peu de pression aussi : bien faire déjà et puis ne pas finir chez les flics.

A cet instant précis une intuition se dessine : c’est maintenant que l’exposition à lieu. Elle est à l’apogée de son intensité dans cette émulation, ce bonheur d’être tous ensemble pour la faire exister, pour lui donner une visibilité. A -10°, les doigts gonflés par le froid et la colle à tapisserie, les équipes s’activent tout en s’appliquant. Il faut respecter les niveaux, l’écartement entre les affiches, composer avec les différentes couleurs, les différents motifs. Susse la moi. Le résultat est magique, les fluos vibrent les uns au contact des autres, les assemblages étonnent, détonnent aussi. C’est l’excitation, les groupes se retrouvent, enivrés par le froid, la fatigue, la joie d’avoir été jusqu’au bout. Un dernier verre, quelques photos avant de rentrer, il est 3h du matin, 200 affiches ont été posées.

Mardi, 10h, l’intuition se confirme, l’exposition a bien eu lieu. Elle a même déjà été démontée.

Merde, effectivement Jacquard baise tout. Tandis que l’exaltation de la mission collective de la veille se délite, une nouvelle intuition se dessine, les décolleurs étaient au moins aussi bien organisés que nous. Les services de la Mairie ? Probablement, mais pas que. Il y a aussi le commando des mères en colère, formé pour l’occasion. Elles ont pris leur mission très au sérieux, outrées par la grossièreté des propos affichés. J’ai mal à l’anus, la salope. Représenter le réel, en extraire des fragments, les rendre plus visible qu’ils ne l’étaient peut avoir quelque chose de dérangeant. Au final, ces relevés, qu’ils soient dessinés ou photographiques, ne sont que des focus sur des pratiques et des usages de la ville au quotidien. Arracher ces affiches qui ne rejouent rien de plus que ce qui est habituellement dissimulé sous le toit de la cabane pour enfants est un geste paradoxal. Ce qui dérange doit disparaître. Il faut anéantir le plus vite possible toute vibration incontrôlée de la ville.

L’exposition n’aura duré qu’une nuit, il ne reste sur les murs que les traces de colles autour des affiches disparues, halos discrets et fantomatiques.

Alissone Perdrix, 2013

Film : Charleroi, les enfants jouent

La démarche de réalisation est simple, je pars seule avec ma caméra et travaille au gré des rencontres, de lieux et de personnes. En résidence à Charleroi (Belgique) pendant un mois, j’ai sillonné la ville à la recherche de ses aires de jeux.

Ce film se construit comme la possibilité de regarder Charleroi, d’en faire un portrait singulier, à travers les pratiques de jeux qui s’y déploient. Comment dans cette ville façonnée par les industries, s’inscrivent les espaces de jeux génériques, identiques à ceux d’autres villes ? Le jeu se déploie-t-il dans d’autres lieux ? En quoi les manières de jouer sont-elles révélatrices de cette ville en particulier ? Mais aussi comment la morphologie de la ville et de ses espaces publics influe-t-elle sur les pratiques de jeu ?

Des adultes d’âges différents racontent les terrains de jeux de leur enfance.
Ce travail d’entretien sur la mémoire du jeu permet de dessiner en creux le portrait de Charleroi, de son évolution, de ses transformations. Des enfants jouent, ils sont dans l’agir, ils nous livrent du geste. Dans les aires de jeu, ils pratiquent les formes que l’on a pensé pour eux, les détournent, les adaptent. Parfois dans les marges, nous les suivons à travers leurs lieux secrets et familiers.

Ce film est une rencontre entre une mémoire de l’enfance, de ses lieux emblématiques, avec la réalité contemporaine d’une ville industrielle en mutation. Les espaces dédiés nouvellement aménagés côtoient les marges nombreuses propices aux aventures. Les rencontres rythment et façonnent le film. Toujours dans une posture de retrait nous suivons la parole et les enfants jouent.

Sérigraphies

Issus d’un travail de repérage à Charleroi et Saint-Étienne, ces dessins sont des instants de jeux saisis dans leur intensité. Gestes délibérés, captés dans la puissance de l’agir comme de l’abandon, ils sont mis en regard de relevés photographiques réalisés dans les aires de jeux. Tags, inscriptions spontanées, un dialogue décalé se met en place entre dessins et photographies. Relevés par le fluo du papier, ces montages d’images sérigraphiées s’affichent de manière précaire sur les murs. Rendus sur-présents par le processus de fabrication, ils contaminent la rue, le quartier, le regard. Cette intervention est un déploiement tautologique qui ne dit rien d’autre que ce qui est possiblement déjà là, une capacité à vivre et habiter l’espace public.

Voir le film : Charleroi, les enfants jouent
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